Par la rédaction de FTC Magazine — le média 100% poterie qui surprend (Crédits : Chronicle Cremation Design)
Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il adviendra de vous après votre dernier bol de soupe ? Et si, au lieu de finir dans une urne triste ou sous un tas de gravier, vous deveniez… un service à thé ?
Aussi fou que cela puisse paraître, c’est l’idée d’un artiste américain qui a littéralement proposé de faire de vos proches décédés une œuvre d’art utilitaire en céramique. Loin du folklore gothique, l’idée soulève des questions sérieuses sur les limites éthiques de l’art, la place du corps humain dans la création, et l’avenir de la poterie mémorielle.
Justin Crowe, le potier qui n’avait pas peur des morts
Tout commence avec Justin Crowe, un artiste et designer basé au Nouveau-Mexique, qui lance en 2016 un projet pour le moins… macabre ? Non. Provocant ? Oui. Étonnamment poétique ? Peut-être.
Après le décès d’un proche, Crowe s’interroge sur notre rapport à la mort et à la mémoire. Il décide alors de mélanger des cendres humaines à l’argile pour créer des objets du quotidien : bols, tasses, assiettes, vases… Bref, le kit IKEA de l’au-delà.
Son entreprise, baptisée Chronicle Cremation Designs, propose de transformer les restes crématoires d’un proche en véritable œuvre d’art céramique. Une urne ? Trop banal. Pourquoi pas un mug à café du matin contenant littéralement un peu de Papy ?
Crowe pousse le concept encore plus loin : pour une première série de pièces exposées, il n’utilise pas les cendres d’un proche, mais celles de plusieurs inconnus achetées légalement à un crématorium (oui, c’est possible aux États-Unis). Objectif ? Créer une œuvre collective, un « memento mori » tangible et provocateur.
Les cendres dans l’art : une pratique (presque) légale
Avant d’aller plus loin : est-ce que c’est légal ?
🗽 Aux États-Unis :
Oui. Les cendres, ou « restes crémés », ne sont pas toujours considérées juridiquement comme des restes humains au sens strict. Leur usage artistique est donc toléré, du moment que le consentement des proches a été donné, et que le traitement est respectueux.
🇫🇷 En France :
Ici, les choses se corsent. Selon le Code général des collectivités territoriales, les cendres d’un défunt sont juridiquement assimilées à un cadavre. Leur traitement est strictement encadré. Il est interdit de les diviser, de les conserver chez soi ou de les transformer à des fins non funéraires. L’article L2223-18-2 du code est clair : les cendres doivent reposer dans un lieu autorisé à cet effet, comme un cimetière ou un columbarium.
👉 En clair : interdit de faire un vase avec Tonton Roger en France, même si vous êtes potier de génie.
L’éthique de l’argile humaine : jusqu’où peut-on aller ?
Ce genre de pratique soulève une tonne de questions.
- Est-ce un hommage ou un sacrilège ?
- Est-ce qu’on peut utiliser un mug contenant quelqu’un qu’on a aimé ?
- Est-ce que l’objet reste fonctionnel ou devient-il purement symbolique ?
Pour certains, comme Crowe, l’objet devient un lien tangible avec la mémoire d’un être cher. Pour d’autres, c’est une profanation moderne, un pas de trop dans la marchandisation du deuil.
Certains philosophes y voient une continuation logique de l’histoire de l’art, où le corps humain a toujours été un matériau : des reliques religieuses aux masques mortuaires, en passant par les sculptures sur os.
Une catharsis en céramique ?
Du point de vue psychologique, cette démarche peut s’apparenter à un processus de deuil actif. Transformer la matière de la perte en création peut aider à canaliser la douleur et à symboliser la permanence d’un lien affectif.
Mais attention : cela ne convient pas à tout le monde. Pour certains endeuillés, boire son café dans la cendre d’un proche peut créer une dissonance cognitive déroutante — voire carrément dérangeante.
Et si l’art n’avait pas de limites ?
La vraie question que soulève Justin Crowe est peut-être celle-ci : l’art a-t-il des limites ?
En intégrant un matériau aussi chargé symboliquement que des restes humains, Crowe bouscule les frontières de l’art, du design et de la morale. Son œuvre n’est pas là pour faire l’unanimité — elle est là pour poser problème, pour gratter là où ça fait mal.
Et n’est-ce pas aussi ça, le rôle de l’art contemporain ? Interroger notre rapport au corps, à la mémoire, à la mort et à la matière ?
Cendre & Sens : la poterie mémorielle, tendance ou déviance ?
Si la France interdit encore formellement ce type de transformation, d’autres pays sont plus souples, et l’idée de « poterie funéraire » commence à faire son chemin. Après tout, nous portons bien des pendentifs avec des cheveux, des empreintes digitales gravées, ou des photos post-mortem…
Alors pourquoi pas une théière souvenir, un vase-témoin, une coupe-reliquaire ?
Pour aller plus loin avec la céramique
Les limites de l’imaginable en céramique
→ La lave comme four naturel ?
→ Un pied pour façonner la terre ?
De la matière à la mémoire, la céramique raconte des histoires
→ Faïence, grès, porcelaine… : tout comprendre pour mieux créer
→ Poterie de la Bâtisse : entre tradition et transmission
En résumé
- ✅ Justin Crowe transforme des cendres humaines en poterie aux États-Unis depuis 2016.
- ⚖️ C’est légal aux USA (avec consentement), interdit en France (assimilé à un corps).
- 🧠 L’art funéraire en poterie peut être thérapeutique pour certains, choquant pour d’autres.
- 🎨 L’art n’a (presque) pas de limites — mais le droit, si.
Chez FTC Magazine, on explore toutes les formes de céramique, même celles qui sortent un peu du four (ou du crématorium).
Et si la poterie est un art de la transformation, alors pourquoi ne pas envisager la transformation ultime ? 😉
Pour ou contre ? N’hésitez pas à vous exprimer sur le sujet en commentaire.
📚 Sources :
- 20 Minutes – L’artiste qui transforme les cendres en poterie
- Code général des collectivités territoriales (articles L2223-18 et suivants)
- Site de Chronicle Cremation Designs
- Interviews de Justin Crowe, 2016–2020